mardi 5 novembre 2013

La communication sous toutes ses formes!

Qu’en est-il du cocon de Léa? On peut dire qu’il s’évapore, s’effrite, se dissout… lentement, mais réellement. Peu à peu, nous défrichons un chemin entre elle et nous. Celui-ci ne s’éclaircit pas toujours (ni même jamais…) de façon linéaire, mais permet tout de même l’émergence de contacts naissants et tout à fait emballants. Pourquoi emballants? Simplement parce que chaque fois qu’on parvient à ouvrir une petite porte en elle, on estime si ça a été possible, alors que ça paraissait impossible, pourquoi pas une autre porte?

 Alors voilà, en détails, ce chemin jusqu’à aujourd’hui, qui a été construit à tâtons, des infos glances ici et là, des observations, des intuitions… N’ayant point trouvé de recette toute conçue pour Léa, nous l’élaborons nous-même, par essais et erreurs. Ça incite à devenir créatif, et à puiser en soi… 

Afin de devenir assimilable pour Léa, tout doit lui être présenté en parcelles, tout doit être décortiqué en mille et une étape; c’est donc long à raconter. Patience à ceux qui souhaitent le lire jusqu’à la fin…

 Étape 1 : Exprimer ses besoins, formuler des demandes, comprendre les consignes simples. 

Commençons par le début, les premières recommandations concernant la communication ont été de faire en sorte que Léa puisse exprimer ses besoins. Alors âgée de deux ans, ne s’exprimant ni verbalement, ni gestuellement, difficile à atteindre au travers de tout le chaos qui semble se dérouler en elle, il était bien sûr prioritaire qu’elle arrive à se faire comprendre pour l’essentiel. La communication par pictogrammes, un cahier de communication, deux ou trois signes (ardus à acquérir, car ses habiletées en contrôle moteur sont très affectées, ainsi que sa conscience du corps). Ainsi, les années passent. Cinq ans plus tard, Léa demande toujours les mêmes choses, de la même façon, elle nous amène par la main, il y a les pictos, les « encores » signés. Elle comprend bien les consignes, les sons sont encore difficiles à émettre. Quelques brefs jeux répétitifs développés avec nous au fil du temps. Et ses fameux livres, dans lesquels elle pointe des images pour qu’on les nomme, ce qu’elle adore. Ainsi va la vie, Léa apprend pourtant plein de choses, mais ça reste enfermée en elle, utilisé exclusivement en contexte précis. Le quotidien n’évolue pas ou presque. Devant ce constat, nous choisissons de tourner nos efforts vers ce qui changera notre quotidien, et nous permettra de connecter avec notre fille.


 Étape 2 : Contact visuel

 Avant de répondre à ses demandes, attendre son contact visuel, ce qui a permis de générer de nombreux regards, mais qui durent alors une seconde, pas plus…


 Étape 3 : Allonger la durée contacts visuels

 Pour s’inspirer, des lectures du côté de Floortime, Son-Rise (chez qui nous avons même eu le privilège de faire un petit saut avec Léa), RDI (Relationship Developmental Intervention), et puis des observations de nos petits modèles vivants (le frère et la sœur de Léa) afin de démystifier un tant soi peu comment les relations s’établissent entre les tous petits et leurs proches. Concrètement, afin de rendre possible l’ouverture de Léa sur le monde et sur les autres, nous avons débuté par stimuler le maintien du contact visuel, par diverses techniques, et poursuivons toujours en ce sens. -attendre son regard pour parler, faire des pauses, même au milieu de nos phrases, pour lui donner l’opportunité de connecter à nouveau par le regard. -utiliser de la communication non-verbale (sans parler) pour qu’elle prenne conscience de l’importance du non-verbal, de toute l’information qu’elle recelle, et qu’elle l’observe -imposer des pauses durant les interactions, pour qu’elle ait le temps de nous regarder, et de nous répondre; c’est son regard qui constitue son « feedback » dans l’interaction.


 Étape 4 : Pointer à distance

 Quant à ses demandes « tirées par la main », suivies d’un pointé une fois arrivée à son but, nous avons amorcé le changement en lui enseignant à pointer à distance (avant, elle pointait seulement si elle était capable de toucher l’objet), et à pointer une direction. On peut donc maintenant l’inciter à découvrir qu’elle peut simplement attirer notre attention par un son ou un toucher, et puis nous diriger par le regard et le pointé vers son lieu d’intérêt. Franchement, je préfère cette voie de communication, parce que j’avais parfois l’impression d’être le pantin de la demoiselle!!


Étape 5 : Stimuler la communication dans un but de partage.

 Jusque là, les seules interactions qu’elle avait avec nous étaient principalement constituées de demandes de sa part, ou de consignes de la nôtre. Lorsqu’il a été plus aisé pour elle d’établir des contacts visuels, et de les maintenir quelques secondes, nous avons choisi d’utiliser ses capacités (regard et pointé) pour agrandir son champ d’interaction.

 Nous avons donc pensé l’amener à sortir du concept demandes/consignes, pour découvrir une autre forme d’interaction, qui constitue en réalité la grande majorité des interactions entre les êtres humains; nous souhaitions la guider afin qu’elle prenne conscience de l’intérêt de partager ce qui se passe dans sa tête, (ce qu’elle regarde, voit, entend, ou fait), bref, qu’elle découvre le partage d’expérience (et éventuellement, le partage d’émotions…). On a pensé que tout son entourage pourrait devenir un grand livre, au lieu d’interagir juste à partir de livres.

 C’est en la questionnant à propos de tout et de rien (qu’est-ce que tu regardes, vois, entends, …), et puis, surtout, en imposant des pauses lui permettant de répondre, que nous sommes parvenus obtenir des pointés spontanés de ce qu’elle observe, ce qui attire son attention. Au début, elle avait besoin d’être incitée, et maintenant, elle y prend plaisir, et nous aussi! Quelle joie de pouvoir sortir avec une Léa qui, dorénavent, partage avec nous les divers objets de son intérêt; ça lui donne une bonne raison de rester près de nous (son côté « volatile » constitue en fait un souci majeur pour nous, pour plusieurs raisons…), et ça lui permet de prendre part (du moins un peu) aux diverses expériences qu’elle peut vivre. Une capacité d’attention conjointe un peu plus développée se profile simultanément; nous arrivons maintenant à attirer son attention, très brièvement, sur ce que nous regardons versus ce qu’elle-même regarde. Nous avons cependant remarqué qu’elle ne montre que des choses statiques, versus des personnes ou des actions dynamiques.

 Étapes suivantes, que nous avons travaillées simultanément :
-qu’elle fasse deux pointés de suite pour être plus précise (par exemple : les céréales dans le bol, elle pointe céréales, suivies du bol). Elle a facilement fait cet apprentissage. Toujours, nous l’encourageons à utiliser ces nouveaux acquis pas juste dans un contexte de demande, mais aussi de partage pour le plaisir de communiquer, de commenter gestuellement ce qu’elle voit. Poser des questions l’incitant à réaliser que nous sommes intéressés par ce qui l’intéresse est une formule aidante. Important, le but n’est pas de tester ses connaissances, mais de l’inciter à partager ce qui lui passe par la tête, en lien avec l’environnement.
 - attirer son attention sur les personnes, visages et leurs actions (passer du statique au dynamique). Deux moyens pour y parvenir, commenter lentement tout en pointant, pour s’assurer que son attention se promène là où le focus devrait être (ex : si elle regarde, d’une manière qui nous semble passive, son frère qui pousse un panier, je m’immisce pour dire « Jules pousse le panier », m’assurer en faisant des pauses et pointés, que son regard va bien alterner entre Jules, le panier, et moi qui devient en quelque sorte « l’interprète »). Ou bien, lui demander « Qui pousse un panier? » et qu’elle réponde en pointant Jules, ou alors « Qu’est-ce que Jules fait? » (ce qui est plus vague comme question, et donc plus difficile d’obtenir une réponse). Le but de la question est qu’elle prenne conscience que tous les prétextes sont bons pour communiquer, et qu’elle peut utiliser tout ce qui l’intéresse, même les personnes et choses en mouvement, pour interagir. On veut stimuler cette sphère en elle, et éventuellement, je crois que, tout comme pour les choses statiques, elle partagera ses centres d’intérêts spontanément, sans avoir besoin d’être stimulée par des questions de notre part.

 Dans ce dernier point d’amener son attention, sous forme de question, sur les personnes et leurs actions, nous avons constaté qu’il est parfois difficile, lorsque l’action se passe trop rapidement, d’avoir le temps pour elle de répondre avant que l’action soit terminée. Alors, pour « pratiquer », nous avons utilisé des situations où les personnes sont immobiles. Du coup, plusieurs activités ont été tentées, par exemple « qui est assis sur le divan? » versus « qui est assis sur la chaise? » ou « qui a le ballon dans les mains? », ou « qui est debout? ». Les difficultés rencontrées :
 - Donner la réponse précédente. Ex : qui est sur la chaise? Maman. Qui est sur le divan? Papa. Puis on interchange et elle donne encore la même réponse. Je vois une difficulté à s’ajuster au fait que la réponse à la question varie selon les cirsonctances, qu’elle n’est pas statique.
 - Elle se mélange plus facilement quand elle-même fait partie du choix de réponse.
- Elle se mélange plus facilement quand la personne qui pose la question fait partie du choix de réponse.
- Donner la réponse à une tierce personne. Ex : Papa demande « qui est assise sur la chaise? » la réponse étant maman, elle vient vers maman et donne la réponse à maman, i.e. regarde maman dans les yeux en pointant, mais elle « sort papa de l’équation » (ou maman, ou autre, dépendamment du cas).

 Ceci nous a amenés à travailler des concepts. Le « où est … » était déjà acquis, nous avons passé à « à qui? » (signifiant parfois une appartenance, mais d’autres fois, une évidence comme « Ce sont les yeux à qui? On trouve alors les mêmes difficultés que décrites dans le paragraphe précédent). On travaille le tout d’une façon décortiquée, en créant un contexte qui ne varie qu’un seul aspect à la fois.

 Parallèlement, en ce moment, nous travaillons à ce que Léa développe la capacité de nous montrer ce qu’elle-même fait, de montrer ses propres actions. Ex, montrer qu’elle pousse une chaise, qu’elle transporte un objet, qu’elle fait tourner quelque chose, qu’elle marche, qu’elle monte, et bien d’autre, en nous regardant pendant l’action ou juste après, de façon à confirmer qu’on a bien remarqué. Le but est de lui enseigner encore une fois que tout ce qu’elle fait peut être un prétexte à communiquer, parfois pour l’utilité, mais bien souvent pour le plaisir de partager ses expériences!

 Aussi, elle commence à comprendre la phrase « Montre-moi Léa qui marche » ou « Montre-moi Léa qui est assise »; sa motivation est simplement le fait de recevoir un feedback de notre part, comme « Ah oui! Je vois Léa qui est assise sur la chaise! » , même principe que lorsqu’elle montre une image dans un livre, et qu’elle souhaite un feedback, sauf qu’au lieu d’une image, le prétexte ici est son action. La façon de donner le feedback influence grandement sa capacité d’attention à celui-ci. Parler lentement, en séparant les syllables, s’arrêter si elle détourne le regard, et reprendre dès que son regard revient sont des astuces très efficaces.

 Et puis concernant les choses « statiques » qu’elle pointe régulièrement (en fait, c’est formidable, on peut passer plusieurs minutes pendant lesquelles elle nous montre toutes sortes de choses qui l’intéresse, mais très statiques), nous utilisons plusieurs options pour la guider sur la piste de la réflexion. Ex., elle montre un chapeau qui est sur la paterre. Au lieu de juste répondre « C’est un chapeau », profiter de sa disponibilité (on a ici une seconde pour y penser avant qu’elle ne parte…), ajouter une question à laquelle elle a les moyens de répondre immédiatement, genre je pourrais demander « c’est le chapeau à qui? » si la personne à qui il appartient se trouve dans l’environnement. Sinon, demander « le chapeau ça se met sur quoi? » elle peut alors montrer sa tête, on peut modeler la réponse. But des questions encore est de lui suggérer comment elle pourrait elle-même allonger ses interactions, créer plus de boucles de communications (ce terme fait référence à « Floortime »). Et puis, lui faire faire des liens, si elle montre le chapeau, lui demander si elle voit un autre chapeau, puis un autre, ou bien dans certains cas, si il y a un « pareil ». C’est très très utile de varier le contexte de cette notion du « pareil », et surtout, de la sortir des simples images à pairer, et utiliser ce concept comme prétexte à la communication.

 Un certain Steven Wright a dit « Everywhere is within walking distance if you have the time.” Continuons à avancer, qui sait où on arrivera?